Hermano José F. de almeida
7 de agosto de 2006
Sophie Carquain. Le Figaro. Photo: Ingram/PR
Enfants tout puissants, parents séducteurs, ados érigés en modèles à suivre... Est-il encore possible de se faire obéir de ses enfants ?
La scène se passe dans un TGV. Une consoeur tente de boucler son papier. Devant elle, deux jeunes enfants regardent le DVD de Shrek 2. Sans casque. « Excusez-moi, pourriez-vous demander à vos enfants de mettre le casque ? J'essaie de travailler », argumente la jeune femme auprès de la maman. « Bon. Mettez-le », soupire cette dernière, sans grande conviction. « Non ! », répliquent les bambins. La journaliste voit rouge : « Pourriez-vous mettre votre casque ? », s'emporte-t-elle directement auprès des enfants. Ils obtempèrent enfin, de mauvaise grâce, obéissant à l'inconnue et non à leur mère. Curieuse époque où les parents enfoncent leurs boules Quiès plutôt que de se frotter à leurs gamins... Le phénomène couve depuis quelques dizaines d'années, épinglé par Lacan dans la célèbre formule « le déclin de la fonction paternelle », autrement dit, le déboulonnage progressif de l'image du père, symbole de l'autorité et de la loi. « On est passé assez brutalement de l'autoritarisme certes abusif et nocif, à un « défaut de contenant », de limites », analyse le professeur Daniel Marcelli, pédopsychiatre à Poitiers. Bref, nos gamins, élevés sans contraintes, et sans aucune obligation d'obéir n'en feraient qu'à leur tête.
La rébellion se corse au moment de l'adolescence, d'autant qu'aujourd'hui, les adultes sont eux-mêmes fascinés par ces ados férus de culture Internet, et devenus à bien des égards leurs modèles culturels. Alors, dans cette inversion de rôles, quid de l'obéissance ? Et comment désormais se faire respecter de ceux qu'on place au niveau de « petits rois » ?
« Le phénomène est d'autant plus important que les enfants sont élevés aujourd'hui « au sentiment », dans le mythe du « bon petit sauvage », explique la psychanalyste Claude Halmos. On pense, à tort, qu'un enfant n'a besoin que de l'amour de ses parents, pour grandir harmonieusement. Ce faisant, on oublie le « devoir d'éducation et d'obéissance », martèle la psychanalyste. Élevé ainsi, loin du souci d'obéir aux règles communes, l'enfant, puis l'ado, intègre alors le fait qu'il peut vous faire répéter quinze fois : « Viens à table, ferme ton ordi ! », avant d'avoir à lever le petit doigt... On n'a plus alors qu'à quêter une aide chez le psy de quartier. N'a-t-on pas vu ces dernières années se multiplier les super nannys et autres psys, cathodiques ou non ?
« En cherchant ces « béquilles », on recourt alors à une sorte de « conscience morale externalisée », note justement le professeur Marcelli. Pour autant, un enfant élevé sans contrainte ni obligation d'obéir, accuse le coup dans sa chair et son psychisme. D'où le développement du « syndrome Zébulon » et autres ADHD (hyperactivité et troubles de l'attention) qui menaçaient beaucoup moins les enfants de naguère : « En matière de troubles psychiques, on est passé d'un excès à un autre, constate le professeur Marcelli. On a troqué les névroses d'inhibition dues à la soumission (l'enfant se renferme sur lui ou se révolte contre lui-même, manque d'appétit, s'automutile...), à des troubles du comportement, comme la violence, l'hyperactivité. »
Car demander à un enfant d'obéir, c'est d'abord, doit-on le préciser, « pour son bien » ! « Il s'agit de le sécuriser, poursuit Claude Halmos. Car en l'absence de conscience morale et de « surmoi », l'enfant obéit alors à ses pulsions, et continue à vivre dans la pensée magique du « tout est possible ». C'est, pour lui, extrêmement angoissant et qui peut, en outre, déboucher sur la violence »,.
Alors, pourquoi donc une telle difficulté à se faire obéir? Parce que, d'après le psy et thérapeute de famille Eric Trappeniers, qui vient de publier Cause toujours ! (éditions du Seuil), « les parents évoluent trop souvent dans une attitude séductrice avec leurs enfants. Ils craignent de ne plus être aimés d'eux s'ils posent des limites », argue le psy. Effet de la « culture djeun's » ? « On craint d'être considéré comme « trop vieux », « ringard », si l'on exige. On ne veut plus se poser « un pas au-dessus », assumer son rôle de parent dans sa réalité, c'est-à-dire dans les contraintes. Trop souvent, les parents s'identifient à la règle : « allez, mon chéri, fais-le pour me faire plaisir ! », ce qui n'est pas efficace. Trop souvent également, poursuit le psychothérapeute, on les autorise à contourner la consigne « Tu ne veux pas ? Bon, après tout, ça n'est pas si grave », ce qui est un « permis d'enfreindre » pour la loi en général, et peut déboucher à terme sur de graves désobéissances ».
« Les enfants, tout comme les ados en ont besoin de ces « petites interdictions » de tous les jours ! », insiste Daniel Marcelli, même s'ils les transgressent ; il faut maintenir le cap et « aller au conflit » avec son enfant et plus tard, son ado. Quand un parent dit « il est l'heure de te coucher », et que l'enfant répond : « je me coucherai quand tu te coucheras », il faut le replacer dans la différence des générations, ce qui se fait trop peu aujourd'hui. »
Autre effet de la « séduction », cette attitude qui consiste à être « de mèche » avec l'enfant. Exemple ? « Ce sont les parents, explique Éric Trappeniers, qui discréditent les profs, qui disent : « que veux-tu, je sais bien qu'il est nul, je suis d'accord avec toi. Mais fais quand même ton devoir ». Effet catastrophique sur le devoir d'obéissance, on l'a compris.
Une chose est sûre : à entendre Éric Trappeniers, la désobéissance, acte plus complexe qu'il n'y paraît, exige d'aller explorer l'inconscient et le « non-dit ». « Ce que l'on retrouve, souvent, c'est une discordance entre « règle explicite » (l'interdit, celle qui est énoncée par les parents) et « règle implicite » (un « non-dit » que l'enfant perçoit avec ses antennes). Fréquemment, explique le psy, les enfants obéissent à une « loyauté invisible » envers chacun de leurs parents, surtout quand la loi explicite n'est pas suffisamment énoncée. C'est pourquoi, quand il désobéit, il n'en fait pas forcément « à sa tête », mais parfois « à leurs têtes », entendez, celles de ses parents ! ».